C'est à peine croyable Paul Biya l'a encore fait : comme son décret n° 2014/058 du 18 février décembre 2014 portant commutation et remise de peines, celui qu'il vient de signer ce 15 avril 2020 va d'abord soulever beaucoup d'espoir mais très vite le peuple camerounais comprendra qu'il vient d'être de nouveau roulé dans la farine !
Comme nous allons le voir, le décret n° 2020/193 du 15 avril 2020 portant commutation et remise de peines est un exemple parfait de la roublardise politique où un dirigeant donne de la main droite une faveur qu'il retire immédiatement de la main gauche.
L'article 1 exclut déjà environ 60% des prisonniers sont exclus de son champ d'application
Dès l'article 1 on lit "les commutations et remises de peines" ne sont accordées qu'aux "personnes définitivement condamnées à la date de signature du présent décret", autrement dit les détenus en détention provisoire ne sont pas concernés. Or selon des chiffres publiés par l'administration pénitentiaire camerounaise en 2008, la proportion des détenus définitivement condamnés était d'à peine 40%, autrement dit dès le premier article de ce décret environ 60% des prisonniers sont exclus de son champ d'application.
Selon des informations actuellement disponibles publiquement, "à la prison de Kondengui sur 6.000 détenus, il y aurait 4.000 en détention provisoire plus 1000 qui ont fait appel, donc en tout 5000 détenus ou soit environ 83% exclus du bénéfice du décret. Si on ajoute que sur les 1000 personnes restantes au moins 500 sont exclues des mesures présidentielles à cause de la nature de leurs condamnations (terrorisme, détournements, corruption, fausse monnaie, fraude aux examens, etc.), alors il reste moins de 500 personnes soit 8 % qui pourraient espérer en bénéficier !!! Décidemment ceux qui appelaient Laurent Gbagbo 'Boulanger' n'ont jamais entendu parler de Paul Biya.
La suite de l'article 1 donne l'impression d'être au marché des arachides : un petit ici, un petit peu là, aucune libération inconditionnelle quelle que soit la durée la détention ou du délit pour lequel on est détenu. Bonjour la bureaucratie.
L'article 2: mini espoir pour les personnes mineurs
L'article 2 s'adresse aux personnes condamnées mineures : ici aussi pas de libération pure au simple pour des raisons humanitaires : ils bénéficient en plus d'une remise du 1/3 de la peine. Donc un mineur condamné à 3 ans d'emprisonnement, bénéficie d'abord de la remise d'un an (article 1) puis encore d'un an (article), en n'aura à purger qu'une année. Si la personne mineure est en prison depuis plus d'un an, elle peut espérer sortir de prison, à condition que l'administration ne prenne pas des mois ou même des années pour faire son travail, car au Cameroun il est arrivé que des personnes libérées sur papier restent quand même longtemps en prison.
L'article 4: la main gauche qui retire ce que la main droite (article 1) a concédé
Passons à l'article 4 qui est au cœur de la roublardise, autrement dit ma main gauche qui retire ce que la main droite (article 1) a donnée : les exceptions, les types de détenus exclus du bénéfice de la remise de peine. Toute une série de condamnés définitivement sont exclus des mesures présidentielles à cause de la nature de leurs condamnations : évadés, récidivistes, terrorisme, détournements, corruption, fausse monnaie, fraude aux examens, etc. Autrement dit une très grande proportion des condamnés (voir l'exemple des détenus de Kondengui). Il restera très peu d'heureux élus pour sortir de prison suite à ce décret.
Si on regarde le cas de certains détenus qui font l'actualité, on s'aperçoit que Paul Biya a expressément soin d'exclure certains d'entre eux de toute clémence.
Déténus de la crise anglophone, ceux du MRC, Wilfried Siéwé, Paul Tchouta, Marafa et les victimes de l'épervier: EXCLUS
Les détenus de la crise dite anglophone globalement exclut dans leur totalité du champ d'application de ce décret, puisque la plupart d'entre eux sont soit en détention préventive, soit condamnés en première instance mais ils ont fait appel du jugement et en plus ils sont généralement condamnés pour terrorisme à un titre ou un autre ou alors pour infraction à la législation sur les armes. Même les deux mineurs anglophones qui avaient été lourdement condamnés par le tribunal militaire pour une mauvaise blague par SMS sur Boko Haram n'auront aucune réduction de peine.
Une partie des membres du MRC qui sont encore en prison, à l'exemple de Mamadou Mota n'auront pas de réduction de peine car condamnés pour des infractions commises pendant qu'ils sont en détention. Le cas l'Allemand d'origine camerounaise Wilfried Siewe est semblable : pas de réduction de peine.
Le journaliste Paul Tchouta par exemple n'a non plus aucune illusion à ce faire, d'une manière ou d'une autre il ne sera pas concerné : pas encore définitivement condamné ou quelque chose dans l'article 4 lui barrera la route.
On pense aussi aux victimes de la nouvelle législation qui mène en prison pour défaut de paiement de son loyer : la filouterie du loyer qui pourrait s'assimiler à de la corruption, concussion ou favoritisme (article 4).
Le Boulanger de Yaoundé a frappé
Lorsque la pandémie du Coronavirus a éclaté, des appels ont été lancés de tous côtés, à commencer par le Secrétaire Général de l'ONU jusqu'aux leaders des partis politiques et des organisations de la société civile camerounaise pour prendre des mesures de décongestion des prisons camerounaises. Cet objet ne sera certainement pas atteint avec ce décret que Paul Biya vient de signer.
Donc si vous avez une personne détenue au Cameroun en ce moment, ne sautez pas de joie. Vous avez dit le Boulanger de Yaoundé ?