par Roufaou Oumarou | 15/04/2020
Selon des estimations des syndicalistes du transport routier camerounais en 2018 rien qu'entre Douala et Ndjamena les camionnaires perdaient presque 200 MILLIARDS DE FRANCS CFA (1) en frais de corruption versés aux gendarmes, policiers et douaniers aux 120 postes de contrôle que les chauffeurs rencontrent sur la route.
Un rapport remis au gouvernement camerounais précisait que "les camionneurs doivent montrer patte blanche à tous ces contrôles, non pas en ayant tous leurs papiers en règle, mais en versant automatiquement une «motivation» qui oscille entre 1000 et 5000 francs CFA, à chaque poste."
Cette corruption est tellement enracinée dans les moeurs que chaque camionnaire perdait plus de 180 000 fcfa en moyenne en route, argent que les patrons des camions remettent expressement avant le départ au chauffeur avant chaque voyage, car ils savent que ce dernier n'a aucun moyen d'y échapper.
Sachant que les agents véreux encaissent auprès de tous les véhicules, pas seulement les camions, on peut sans aucun doute estimer que les véhicules de transport des personnes et les mototaximen perdent la même somme sinon plus, et donc on peut extrapoler vers 500 MILLIARDS DE FRANCS CFA le montant de la saignée financière qui est bien entendu répercutée sur les consommateurs, c'est-à-dire le peuple tout entier.
Il y a quelques années le journal l'Oeil du Sahel avait publié un article sur le sujet dans lequel il était question de chauffeurs de petits bus de transport qui dépensant autour de 22000 fcfa à chaque voyage entre Ngaoundéré et Banyo.
L'auteur de ces lignes a également vécu une expérience où sur 15000 fcfa négociés avec un taxi pris en course entre Ngaoundéré et Dibi (un trajet de 30 km) le chauffeur a perdu 6000 fcfa, soit 40% de sa recette. Il était frappant de constater la hiérarchisation des taux de corruption encaissée: les policiers à pied ou en voiture au bas de l'échelle encaissaient entre 500 fcfa et 1000 fcfa, les gendarmes au minimum 1000 fcfa et les policiers ou gendarmes à moto (les fameux "routiers") au minimum 2000 fcfa. Et comme dans tout système mafieux, un semblant de fausse équité était appliqué: si au retour le chauffeur a la chance de trouver les mêmes agents en place, il pouvait passer sans devoir payer, parfois même sans s'arrêter et donc il pouvait transporter de la drogue, des armes ou surcharger son véhicule autant qu'il veut, sans compter son étant d'ébriété ou celui de son véhicule.
Cette saignée dure dépuis l'indépendance du pays, soit dépuis 60 ans, sans que rien n'y soit fait. Les conséquences sont dramatiques, d'autant plus que le corollaire de cette corruption ne se limite pas aux dégats financiers faits aux consommateurs, mais à un impact grave sur les finances de l'Etat, sur la sécurité routière et sur l'ordre publique.
Comme signalé plus haut, les agents corrompus ne controlent pas si les véhicules sont en règle de controle technique, d'assurance ou vis-à-vis du fisc, ce qui a pour conséquence un manque à gagner pour l'Etat auxquel échappe les rentrées fiscales directes et indirectes que les propriétaires de véhicules devaient payer. Par ailleurs des véhicules non assurés et sans contrôle technique peuvent circuler sans problèmes, mettant en danger tous les usagers de la Route.
Il y a également un impact négatif sur la fluidité du transport, ne serait-ce que par la multiplicité de ces contrôles qui n'ont parfois aucune justification sécuritaire. L'auteur de ces lignes a personnellement vécut le cas d'un contrôle où les deux gendarmes en service regardaient des films sur YouTube dans leurs téléphones, se contentant juste de lever la tête pour encaisser les billets d'argent que les chauffeurs leurs glissaient pour passer, selon un rituel connu aussi bien des corrupteurs que des corrompus, parfois sans même les cacher dans le dossier comme il le font d'habitude.
L'Etat du Cameroun, qui est parfaitement informé, doit prendre urgemment ce problème à bras le corps pour stopper une saignée financière grave qui n'a que trop duré. Les agents véreux doivent être sanctionnés, mais les patrons et les chauffeurs corrupteurs doivent également être traduits devant la Justice afin de susciter une résistance citoyenne saine de leur part, car bien souvent les corrupteurs sont heureux de corrompre en échange de l'impunité, dès lors qu'ils ne sont pas en règles vis-à-vis de la Loi.
Le problème est tellement urgent et a un impact si destructeur sur le tissu économique et la sécurité que les partis d'oppostion doivent absolument s'en saisir, non pas seulement dans le cadre de la lutte globale contre la corruption, mais dans le cadre d'un combat spécifique contre CETTE corruption.