Par Roland TSAPI | Source: https://www.rolandtsapi.com
Homme de l’ombre du Sdf, ce fils de Batibo est décédé au moment où il était rejeté dans son village, laissant derrière lui un parti qui avait considérablement perdu du terrain. Il reste cependant celui qui, à la tête de son groupe parlementaire, a déclenché l’opération épervier qui a conduit tout un gouvernement en prison.
En 1990, quand le vent des libertés démocratiques souffle à travers le monde, le système gouvernant au Cameroun n’est pas prêt à se laisser entrainer dans cette voie. Pourtant près de 30 ans de règne du parti unique avait suffisamment fait de frustrés qui voulaient changer la donne. C’est dans ce contexte hostile que le Front social-démocrate lance ses activités comme parti politique à Bamenda le 26 mai. Celui qui prend les devants, s’est assuré qu’il est entouré de fortes têtes, des intellectuels et surtout des hommes de loi qui maîtriseront les subtilités du droits pour le défendre parti devant les tribunaux, parce que cela devait arriver. Parmi ces hommes de l’ombre de John Fru Ndi, se trouvait aussi un jeune avocat de 35 ans, Joseph Njang Mbah Ndam.
Joseph Mbah Ndam est né en 1955 à Batibo dans le département de la Momo, région du Nord-Ouest, où il a fait ses premiers pas à l’école primaire. Le lycée de Mamfe l’accueille pour ses études secondaires. Contrairement à la mode de l’époque, qui consistait pour les élèves du Cameroun anglophone à traverser la frontière pour continuer les études supérieures au Nigéria, il se retourna plutôt vers l’intérieur du pays, et pris la direction de la capitale, où il sentait son destin le conduire. Il s’inscrit à l’université de Yaoundé créée en 1961, d’où il sortira titulaire d’un doctorat de troisième cycle en droit privé. Après des stages en cabinet, il prête serment et entre dans le Barreau du Cameroun comme avocat plein en 1990.
Au service de la résistance
Mais Mbah Ndam n’est pas sorti de l’université seulement avec le diplôme, il a aussi été forgé à de la résistance, à de l’endurance, à l’humiliation même. Etre un étudiant anglophone à l’université de Yaoundé n’était en effet pas facile. Il fallait sortir de sa localité natale où l’on a étudié en anglais jusqu’au Baccalauréat, et se retrouver dans un système universitaire où il faut prendre des cours complètement en français, sans négliger les railleries et les moqueries qui sont les lots quotidiens dans les amphithéâtres. Pour s’en sortir il fallait avoir un mental d’acier pour, et c’est avec la ferme intention de réparer une injustice quelque part qu’il rejoint le Sdf à sa création en 1990 et fait partie des idéologues du parti, notamment dans le cercle des Conseillers juridiques.
Il aspire à être député, mais quand le parti boycotte les élections législatives et municipales en 1992, il prend son mal en patience, et surtout travaille auprès du Chairman John Fru Ndi pour mieux protéger et défendre les militants constamment pourchassés et intimidés par le pouvoir. Il veille surtout sur les intérêts du parti dans la Coalition mise sur pied dans la perspective de l’élection présidentielle de cette année 1992. Après ce scrutin il est l’un des piliers du groupe des avocats qui introduisent un recours en annulation à la Cour Suprême, qui siégeait à l’époque en lieu et place du Conseil constitutionnel.
« Le Mounchipou gate »
Les élections législatives de 1997 donnent l’occasion à Mbah Ndam de siéger à l’Assemblée nationale, qui depuis lors était devenu presque son deuxième domicile. Déjà membre du Comité exécutif national, le chairman du parti le désigne immédiatement comme président du groupe parlementaire. Poste qu’il prend au sérieux, et malgré la majorité du parti au pouvoir qui ne donne aucun espace à l’opposition pour introduire les reformes des lois, il s’obstine. On lui attribue notamment le déclenchement véritable de l’opération épervier, lorsqu’avec son groupe parlementaire deux ans seulement après son entrée dans l’hémicycle, il exerça la pression pour l’ouverture d’une enquête parlementaire, qui a abouti au « Mounchipou gate », du nom de l’ancien ministre des Postes et télécommunications Mounchipou Seidou, interpellé le 1er septembre 1999 pour fractionnement de marchés publics, surfacturations et livraisons fictives. Il sera condamné 4 ans plus tard à 20 ans de prison.
Mbah Ndam, qui dans une certaine mesure peut être considéré comme l’un des instigateurs de cette opération d’assainissement de la gestion de la chose publique au Cameroun, a mis 10 ans à cette fonction de président du groupe parlementaire Sdf, sur les 23 au total qu’il aura passé l’Assemblée nationale. Les 13 autres années, il était entré au bureau de la Chambre comme 4eme vice-président, poste qu’il a occupé jusqu’en 2020, et pendant ses 23 années au Parlement, il a été membre du Comité du droit constitutionnel.
Insécurité et déclin du parti
Ce fils de Batibo est décédé le 13 avril 2020 à Yaoundé, ayant malheureusement été renié par son village. Son crime, c’est d’avoir refusé de soutenir la cause des combattants séparatistes qui militent pour la sécession. Dans sa posture, le député était désormais une cible pour ces groupes armées qui l’accusaient d’être de connivence avec le pouvoir de Yaoundé qu’ils dénoncent. La décision du parti d’aller aux élections législatives et municipales de février 2020 l’a davantage exposé, surtout quand il s’est porté candidat. Son domicile de Batibo a été incendié le 16 décembre 2019, et il n’a pas non plus pu gagner le siège de député qu’il avait conservé depuis 23 ans.
La situation qu’il laisse derrière lui à sa mort n’est pas très reluisante, ni dans son village où il était désormais renié, ni dans son parti qui pour la première fois depuis sa création n’a pas pu regrouper 15 députés à l’Assemblée nationale pour former un groupe parlementaire, encore moins dans le pays en général, engluée dans une crise sécuritaire menée par ses propres frères, dans le but de partitionner le territoire. Il s’en va cependant laissant derrière lui l’exemple d’un député qui avait pris à cœur ses missions, celle de se battre avec ses moyens pour faire bouger les lignes. Les avancées sur le plan de la liberté d’expression lui sont aussi attribuées, lui qui aura aussi été l’illustration vivante de cette affirmation de Léon Daudet, qui dit « Qui n’a pas été député ne saurait se faire une idée du vide humain. »