par E. FOPOUSSI FOTSO, Ministre dans le Shadow Cabinet du SDF
S’il y a un phénomène face auquel les camerounais sont devenus globalement fatalistes, c’est bien celui des délestages, pour reprendre une expression qui s’est carrément camerounisée, par laquelle ils désignent tous les déboires qu’ils subissent en matière de fourniture électrique par la société Eneo, fournisseur unique au Cameroun, depuis des années.
Il y a deux semaines, nous avons fait écho d’une conférence de presse du ministre de l’Eau et de l’Energie Gaston Eloundou Essomba le jeudi 1er avril à Yaoundé, au cours de laquelle il a annoncé que le gouvernement a mis sur pied un plan d’amélioration de l’offre énergétique doté d’une enveloppe de 540 milliards de FCFA pour venir à bout des multiples délestages. Apres cette annonce, on a envie de se demander si cette fois-ci sera la bonne.
En effet, s’il est un secteur dans lequel le gouvernement camerounais annonce ou engage des projets mirobolants depuis des années sans grand résultat, c’est bien celui de la production énergétique. Car en dépit du grand nombre des projets et de milliers de milliards de francs officiellement engloutis, le pays n’arrive toujours pas à franchir le saut quantitatif et qualitatif pour satisfaire une demande sans cesse croissante. Le gouvernement semble sombrer aussi dans une sorte de fatalité du délestage.
Ces derniers mois, le vent des délestages a pris de l’ampleur et comme un ouragan, semble balayer tout le pays du nord au sud et d’est en l’ouest, ramenant ainsi en surface les paradoxes d’un pays officiellement deuxième potentiel hydroélectrique d’Afrique après la République Démocratique du Congo. Le phénomène n’est certes pas nouveau mais le contexte, fait d’annonces de grands projets planifiés dans le secteur, contraste cruellement avec l’état de la puissance installée, la fourniture réelle et les milliards de francs mobilisés.
La Banque Mondiale a révélé le 24 mars 2021 à Yaoundé que les projets énergétiques représentaient 44% du portefeuille Cameroun. Des fonds, le pays en a engrangé à profusion ces dernières années en vue de résorber un déficit énergétique qui n’a cessé de se creuser, parallèlement à une demande qui croît de 6 à 8% par an.
Lorsqu’on évoque le paradoxe camerounais en la matière, c’est pour rappeler qu’il est particulièrement gâté par la nature. Son potentiel hydroélectrique est estimé à 20 gigawatts (GW), représentant le second de sa catégorie en Afrique sub-saharienne. De nombreuses études ont montré que le pays pouvait produire chaque année plus de 115 milliards de kWh si ses ressources étaient mises en valeur. Lesquelles ne sont aujourd’hui exploitées qu’à hauteur de 3%.
Les problèmes du secteur de l’électricité, selon de nombreuses études, sont liés à l’insuffisance des capacités de production du fait d’un grand retard accusé dans les investissements. Ils sont également attribués à la vétusté, la saturation et la faible disponibilité des équipements de production, de transport et de distribution dues au non-respect des échéances de renouvellement et à une maintenance globalement défaillante. A tout ceci, il convient d’ajouter la limite des capacités des principaux acteurs institutionnels sur le plan des compétences techniques qualifiées et des outils de travail appropriés. En 2007, le gouvernement a élaboré un ambitieux Plan d’action national énergie pour la réduction de la pauvreté (Panerp).
Il prévoyait des investissements de l’ordre de 5.853 milliards de francs sur dix ans, comportant des projets de production et de construction de réseaux devant porter la production à 3000 mégawatt (MW) en 2020. A la date prévue, elle se situait à… 966 MW.
De même, dans ses documents de cadrage macroéconomique, le Plan annonçait un programme d’aménagement permettant de tripler les capacités de production du pays, pour être portée de 1008 MW en 2010 à 3000 MW à l’horizon 2025. En dehors de la construction de quatre centrales thermiques d’une capacité totale de 100 MW, il s’agissait à moyen terme de la mise à contribution des grandes réalisations des barrages de Memve’ele (230 MW), Mekin (12 MW) avec une retenue d’eau de 150 millions de mètres cubes, de Natchigal (275 MW) et de la centrale à gaz de Kribi (256 MW). Dans le même sens, l’entrée en action de Lom Pangar, doté d’une usine de pied de 30 MW et d’un barrage de retenue d’eau de 6 milliards de mètres cubes, permettant aux barrages d’Edéa et de Songloulou d’être saturés à leurs puissances nominales respectives de 263 MW et 384 MW.
Selon la communication gouvernementale à ce sujet, les financements étaient alors bouclés pour la construction de trois ouvrages d’envergure : le barrage de régulation de Lom Pangar avec un réservoir d’une capacité utile de 6 milliards de mètres cubes, permettant d’augmenter la capacité de régularisation du fleuve Sanaga et donc de saturer, en période d’étiage, les centrales hydroélectriques actuelles ou à construire en aval. Dans un second temps, une usine de production de 30 MW est appelée à approvisionner la région de l’Est. La retenue d’eau de Lom Pangar est réalisée depuis plus de trois ans et, c’est pendant la construction de l’usine de production que l’on s’est rendu compte qu’il y avait une ligne de transport à construire…
Dans la foulée, les chantiers de Memve’ele (211 MW), Mekin (10 MW), Nachtigal (420 MW), Song Ndonq (270 MW), Menchum (72 MW), Makaï (350 MW), Njock (200 MW), Bini à Warak (75 MW), Grand-Eweng (1800 MW), Katsina-Ala (485 MW), Ngoiia (84 MW), Mouila-Mogue’ (420 MW), Kikot (450 MW) ou encore Cholet (600 MW) ont été annoncés. Le financement de certains étant par ailleurs réputé déjà bouclé. Mais tout cela relève beaucoup plus de la propagande car l’effectivité reste encore à prouver.
La Stratégie nationale de développement (SND) sur laquelle nous avons largement exprimé notre scepticisme, entend pour la période 2020-2030, satisfaire la demande d’énergie de l’économie nationale, et exporter des exportations d’excédents vers les pays voisins, en portant sa capacité d’énergie électrique installée à 5000 MW. Cette stratégie de développement est officiellement basée sur un mix énergétique entre hydroélectricité, photovoltaïque, thermique, gaz et biomasse. La réalisation desdits projets privilégie l’approche des partenariats public-privé (PPP) et des productions indépendantes d’électricité (IPP). Le gouvernement annonce déjà que durant la première phase de ladite stratégie, encore appelée « Vision 2035 », la capacité installée du Cameroun a été portée à 90% en milieu urbain et 20% en milieu rural. Mais c’est justement au moment de cette annonce triomphaliste que les camerounais assistent à l’accentuation des délestages, en grande partie attribués à la vétusté des réseaux de transport et de distribution, à l’origine d’environ 40% de perte de l’énergie produite, selon des sources officielles.
Plus sombre, malgré des milliards engloutis, l’apport des barrages les plus récents, Lom Pangar, mais plus particulièrement Memve’ele et Mekin, dans la réduction du déficit énergétique reste toujours attendu même si le gouvernement parle du « niveau satisfaisant » de ces réalisations.
En conclusion, le Cameroun est encore loin, très loin, de sortir du noir. Cruel destin pour un pays qui ambitionne d’atteindre l’émergence dans 14 ans.
E. FOPOUSSI FOTSO