Comment comprendre le frémissement actuel dans les relations entre l’Afrique francophone et la France ? Deux évolutions en cours nous poussent à nous poser cette question. L’une politique et l’autre économique. Sur le champ politique, en prélude au sommet France-Afrique prévu à Montpellier en juillet 2021, le Président français Emmanuel Macron vient, dans un courrier daté du 8 février, de demander à l’historien camerounais Achille Mbembe, spécialiste des questions postcoloniales d’accompagner une série de débats dans douze pays africains pour recueillir des propositions concrètes afin de réformer les relations entre le continent et la France. Et ce sont les propositions ainsi recueillies qui seront débattues à Montpellier. Il est de notoriété publique que l’intellectuel camerounais, particulièrement indocile, n’a jamais été avare de critiques vis-à-vis de la politique française en Afrique chaque fois qu’il analyse les relations entre la France et ses anciennes colonies. Plus récemment, il n’a pas été tendre non plus avec le Président Macron lorsqu’il a été invité à analyser l’interview qu’il a accordé en novembre 2020 au journal Jeune Afrique.
Connaissant parfaitement sa rigueur intellectuelle, son intégrité morale et son intransigeance idéologique, pour que le Président français puisse s’appuyer sur lui pour donner un contenu à sa volonté de secouer le cocotier de la françafrique, il a fallu qu’un déclic se produise quelque part. Mais où alors ? De la transition manquée en Côte-d’Ivoire, le joyau de la vision francophone du développement en Afrique, qui finalement s’est installé dans un psychodrame ? Des récents évènements au Sénégal, la perle démocratique à la française où sans qu’on se l’explique, les jeunes en révolte se sont surtout attaqués aux intérêts français pour exprimer leur mal-être ? Ou de l’autisme et de la fuite en avant dans le blocage politique des autocrates de l’Afrique centrale qui a terme peut provoquer une déflagration généralisée susceptible de déboucher sur une situation intenable pour les intérêts économiques français dont le golfe de Guinée constitue le dernier eldorado en Afrique ? On ne tardera pas à le savoir.
Sur le terrain économique et particulièrement monétaire, à la fin 2019 on croyait les choses sur de bons rails en Afrique de l’Ouest avec l’annonce le 9 décembre 2019 par les présidents français Emmanuel Macron et ivoirien Alassane Dramane Ouattara, de la disparition du Franc CFA et son remplacement par l’ECO dans la zone Uemoa. Mais cette date symbolique a été renvoyée à une date ultérieure, sans aucune explication au moment où son porte étendard, le président ivoirien Alassane Dramane est depuis entré politiquement dans une zone de turbulences en se donnant aux forceps un troisième mandat auquel il avait pourtant renoncé. Pour ne rien arranger, le problème du télescopage de cet ECO avec l’autre ECO de la Cedeao n’est toujours pas réglé.
En Afrique centrale où une relique du franc CFA joue les prolongations, le clair-obscur continue. On attendait impatiemment de connaitre la suite des réflexions engagées par les chefs d’Etats de la Cemac sur les réformes nécessaires pour s’adapter à la nouvelle donne créée par l’annonce l’abandon du franc CFA par l’Uemoa et la mise en place de l’ECO pour le remplacer. Mais à la surprise générale, on vient d’apprendre que la Banque de France vient de proposer à la BEAC de nouveaux visuels de monnaie en Franc CFA qui seront bientôt en circulation dans l’espace communautaire. Pourtant il n’y a pas longtemps, mission avait été donnée à la BEAC et à la Commission de la Cemac par la conférence des chefs d’État de la Cemac en décembre 2019 de réfléchir sur un nouveau cadre de coopération monétaire avec la France à court terme. Là aussi, non seulement rien ne filtre, mais contre toute attente, cette rumeur qui inonde les réseaux sociaux de l’arrivée d’une nouvelle gamme de billets dans l’espace communautaire brouille toutes les cartes.
Au sortir de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cemac sur l’avenir de la coopération monétaire avec la France, notamment le franc CFA le 22 novembre 2019, les chefs d’Etat avaient réaffirmé leur volonté de disposer d’une monnaie stable et forte. Concernant particulièrement la coopération monétaire avec la France, portant sur le Franc CFA, ils ont même décidé d’encourager une réflexion approfondie sur les conditions et le cadre d’une nouvelle coopération. A cet effet, ils ont chargé la BEAC sous la supervision de l’UMAC (Union monétaire de l’Afrique Centrale), de proposer, dans des délais raisonnables, un schéma approprié, conduisant à l’évolution de la monnaie commune. Près de deux ans après cette réunion de haut niveau, aucune nouvelle ne filtre ni à la BEAC ni à la Commission de la Cemac sur ces réformes impatiemment attendues pour fixer l’espace communautaire sur son destin monétaire.
La nouvelle évolution dans la zone Cemac, (on n’imprime pas de nouveaux signes pour une monnaie qu’on va changer), ajoutée au report du démarrage de l’ECO dans l’Uemoa, veulent-ils dire que malgré la violence des vents contraires et l’usure tu temps, le Franc CFA a encore de beaux jours devant lui et que la peau de la françafrique semble plus dure ?
Peut-être qu’il faille attendre la fameuse rencontre France-Afrique de Montpellier en juillet 2021 avec les conclusions des consultations d’Achille Mbembe, auxquelles le Président Emmanuel Macron semble attacher une certaine importance pour espérer un éclairci ? On ne perd rien à attendre.